«Être à la bavette», c’est-à-dire en robe, tel fut le sort du petit enfant délivré du maillot, et cela, dès la période médiévale. «Dès que l’enfant quittait le maillot, c’est à dire la bande de toile qu’on enroulait serrée autour de son corps, il était habillé comme les autres hommes et femmes de sa condition» signale l’historien Philippe Ariès, ce qui signifiait porter une cotte ou robe, vêtement alors généralisé. Il restera longtemps celui du jeune enfant. Avec la marche, fini l’emmaillotement; on prit l’habitude dès le XVIe siècle de vêtir alors les petits garçons comme les petites filles: des robes pour tous. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les garçons porteront la robe au moins jusqu’à leur septième anniversaire. Comme si le fait que garçons et filles étaient jusqu’à cet âge sous la férule des femmes justifiait ce costume commun. Sous l’Ancien Régime, quand arrivait l’âge dit de raison, le petit garçon était enlevé à ses nourrices et gouvernantes afin de passer entre les mains de précepteurs: il était temps alors de lui faire revêtir un habit digne de son état masculin…
Par Claude Fauque, Historienne des textiles
Le port généralisé de la robe est tout de même un phénomène qui peut interroger la société car il fut durable. Qui n’a dans ses albums de famille la photo d’un grand-père en robe de broderie anglaise avec de longues boucles ? Quand Renoir peint Mme Georges Charpentier avec ses enfants en robes bleu de ciel, qui peut aujourd’hui différencier Georgette de Paul-Émile ? Du XVIe siècle jusqu’au début du XXe, on peut dire que tous les petits garçons ont goûté aux charmes de la robe…
Une façon de voir l’enfant
Il semblerait que la robe ait été un corollaire du sentiment d’enfance, le regard des adultes sur le petit enfant, une sorte de mise à part qui simplifiait la vie. N’oublions pas non plus que l’hygiène étant ce qu’elle était le port de la robe pour un tout-petit simplifiait la tâche… C’était peut-être aussi un moyen quelque peu inconscient de protéger la petite enfance alors si fragile en la mettant ainsi physiquement entre parenthèses à l’écart des modes adultes qui viendront bien vite à sa rencontre. On peut constater que cet usage du port de la robe fut quasi général en Europe: seuls les petits garçons italiens des peintres du Quattrocento sont en hauts de chausse comme leurs pères… alors qu’à la même époque, des tapisseries allemandes montrent des enfants de quatre ans avec des robes longues, boutonnées sur le devant. Cette différenciation italienne peut-elle donner à réfléchir sur un ressenti bien particulier, peut-être attaché à la représentation masculine méditerranéenne ? Quant au Siècle d’or hollandais, c’est peut-être lui qui a le plus pérennisé l’image du petit enfant en robe.
Dans sa durée, la robe eut tout de même un vocabulaire précis, et subit quelques variantes subtiles, inspirées par l’ordre social et rarement par quelque intrusion de la mode. En général, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, la robe de cette première enfance est décalquée de la robe de femme, avec un corsage en pointe s’incrustant dans la jupe. La robe du petit garçon se démarquera parfois en adoptant une coupe plus longiligne, avec un boutonnage sur le devant, telle une soutane : on l’appelle alors jaquette. Vers l’âge de trois ou quatre ans, de petites différences s’affichent : si les robes des filles ont des manches, à volants identiques à celles de leurs mères, les jaquettes des petits garçons s’ornent de parements comme ceux des hommes, et les cols sont en général rabattus en collet.
S’ajoutait à la robe un ornement assez étonnant : le tablier ou, plus exactement, le devantier. Les représentations d’enfants de bonne condition le portant commencent dès le XVIe siècle. Et garçons et filles en sont pourvus. Ce devantier est toujours d’étoffe légère mais précieuse en valeur, comme la mousseline ou l’organdi de soie ou de lin, très souvent ornementé richement de dentelles et de broderies. Sa préciosité fut également pendant au moins trois siècles un indicateur de la classe sociale à laquelle appartenait l’enfant. Mais pourquoi cet objet ? Des références anthropologiques à travers les costumes du monde montrent que les divers tabliers furent le plus souvent des ornements protecteurs jouant le rôle de talisman. Ils protègent, mais mettent aussi en valeur, une zone corporelle importante… Le devantier des petits enfants se rangea-t-il plus ou moins consciemment dans cette catégorie d’attributs avant de prendre un caractère pratique ? Objet spécifiquement enfantin, il indiquait par là le caractère fragile, un peu insaisissable de l’enfant, par rapport à la société adulte. Et l’on verra que les petits enfants princiers n’échappèrent point à cette coutume. […]
Retrouvez l’intégralité de l’article dans le n°16 en vente en ligne sur boutique.soteca-editions.fr.