Comment la France envisagea l’incinération des soldats tués au combat

Dès août 1914, la létalité des combats, avec pour conséquence son lot innombrable de morts qu’il faut porter en terre, surprend les autorités civiles et militaires. La France, qui depuis près d’un demi-siècle connaît la paix et qui, depuis plus longtemps encore, n’a plus vu sa population décimée par des famines ou des épidémies du fait des progrès conjugués de l’agriculture, de la médecine et de l’hygiène, doit procéder dans l’urgence à des ensevelissements à grande échelle, menés de manière anarchique et imparfaite.
Par Frédéric Médard, Docteur en Histoire

La communauté scientifique mettant en avant les risques épidémiologiques que sous-tendent ces pratiques, les pouvoirs publics codifient, non sans tâtonnements et débats justifiés par la sensibilité du sujet, des règles en matière d’inhumation des combattants tués à l’ennemi, qu’elles veulent applicables jusqu’à la fin des hostilités. Comme solution radicale pour régler la question des cadavres qui s’accumulent, la représentation nationale envisage même un temps, de généraliser leur incinération. En octobre 1914, confronté à la multiplication des demandes émanant de familles souhaitant récupérer la dépouille de militaires tombés dans la zone des armées, le général Joffre décide que pour une équité de traitement, aucune d’entre elles ne verrait sa requête satisfaite tant que la guerre durerait. Car au lendemain de la bataille de la Marne, la France déplore déjà près de 200 000 soldats tués – ils sont 300 000 fin 1914 – auxquels s’ajoutent les corps des soldats britanniques et allemands. Mais il faut également prendre en compte les cadavres des bêtes accompagnant les armées, ainsi que les animaux des nombreuses exploitations agricoles, victimes collatérales des opérations militaires.

Or, dans l’urgence qu’imposaient les chaleurs estivales, réalisées par les troupes elles-mêmes, par la direction des étapes et des services de l’arrière, voire par les habitants revenus sur place, beaucoup des inhumations ont été faites au milieu de champs cultivés, à proximité immédiate d’habitations, voire à même les fossés de routes très fréquentées. Surtout, en l’absence de directives précises, la nature du sol n’a pas été prise en compte, avec pour conséquence, en de nombreux endroits, un risque effectif de contamination des eaux de captage destinées à la consommation humaine.

De surcroît, la plupart des tombes ou des tumulis ne sont recouverts que par une mince couche de terre de 20 à 30 cm d’épaisseur. Aussi, phénomène mécanique lié à la décomposition, laissent-elles exhaler une forte odeur de putréfaction malgré l’arrivée de températures plus fraîches à l’automne. En certains endroits, l’air est même tellement vicié qu’il faut l’intervention de pompiers munis d’appareils permettant la respiration en milieu toxique pour recouvrir les fosses communes de chaux anhydrique. De même, dans les premiers jours de janvier 1915, des troupeaux de moutons mis au pacage sur des terrains situés à Barcy et Varedde, au nord de Meaux, découvrent les dépouilles de soldats trop superficiellement enterrés. Sur le site de la bataille de l’Ourcq des cultivateurs, en labourant, ramènent au jour des débris voire des corps entiers. Tous ces incidents obligent les autorités à s’interroger sur la conduite à tenir, entre exproprier les propriétaires des terrains et sanctuariser les nécropoles, ou les déplacer vers des lieux dédiés. […]

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