La France de 1715, un royaume d’après-guerre

La France de 1715 est un pays d’après-guerre. Le royaume du vieux Louis XIV et du jeune futur Louis XV est en paix pour la première fois depuis presque un quart de siècle : à la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) avait succédé presque immédiatement la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714) et ces deux conflits avaient mobilisé des masses humaines sans précédent – plusieurs centaines de milliers d’hommes, dont une bonne partie se trouve désormais rendue à la vie civile.
Par Thierry Sarmant, conservateur en chef, adjoint au directeur du musée Carnavalet à Paris

Alors que Louis XIV vit ses derniers mois, on célèbre la paix retrouvée, mais on en subit aussi les conséquences : les finances publiques proches de la banqueroute, le brigandage qui sévit dans les campagnes, souvent du fait d’anciens soldats, et dans la ville l’apparition d’une catégorie de déclassés, anciens officiers jadis au service du Roi Très Chrétien ou d’autres puissances. Le souvenir des famines de 1693-1694 et de 1709 est encore tout proche. La paix, laborieusement conclue en 1713 et 1714, est faite, mais rien n’annonce qu’elle soit durable. La mort du Roi-Soleil le 1er septembre et l’accession à la régence de son neveu, Philippe d’Orléans, vont annoncer une période d’incertitude politique et de fragilité du pouvoir central.

Le géant de l’Europe
1715 est pour la France une année en demi-teinte. Avec ses vingt millions de sujets, le royaume des Lis est toujours le pays le plus peuplé et la première puissance de l’Europe: il n’y alors que quatorze millions de Russes et huit millions de Britanniques. L’Empire ottoman, qui s’étend sur trois continents, ne compte sans doute pas plus de vingt-cinq millions d’habitants. C’est dire le poids que conserve la France. Les contemporains admirent sa situation géographique avantageuse, la cohérence de son territoire – ses frontières sont à peu de choses près fixées à celles de l’actuel hexagone –, la richesse de son sol. La centralisation de la monarchie française, les capacités fiscales de l’État, l’efficacité de l’appareil administratif font l’envie des gouvernants étrangers. À la différence de la plupart de ses «collègues » européens, le roi de France n’a à redouter ni les grands, depuis longtemps domestiqués, ni les élites provinciales, incorporées dans l’appareil de l’État, ni les revendications autonomistes des provinces. Une grande partie des Français de 1715 ne parlent pas le français, mais tous se savent et se sentent loyaux sujets du roi de France.

En dépit de ces avantages, la France ne jouit plus de la prépondérance que Louis XIV avait connue entre les années 1660 et 1690. Le Bourbon Philippe V, petit-fils du roi, règne bien sur l’Espagne et les Indes, mais la marine britannique domine l’Atlantique et la Méditerranée. À la paix d’Utrecht, Louis XIV a dû céder à la Grande-Bretagne l’Acadie, Terre-Neuve et la baie d’Hudson. Le roi a ainsi sacrifié l’outre-mer au continent et ces abandons annoncent la perte future du Canada par les Français. En Europe, la France n’a d’autre allié proche qu’une Espagne affaiblie. Ses alliés plus lointains, Pologne et Suède, sont en pleine déliquescence. […]

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