Les offensives de 1915 : nécessité stratégique ou doctrine irresponsable ?

De décembre 1914 à octobre 1915, la deuxième année de guerre est tout particulièrement meurtrière, alors que des Vosges aux plaines du Nord les lignes ne bougent finalement que de quelques centaines de mètres, au mieux de quelques kilomètres. Le bilan humain de l’année est en effet dramatique : près de 350 000 tués et un million de blessés et malades évacués. Les résultats immédiats semblent ne pas justifier un tel carnage, et à de telles pertes il faut nécessairement trouver des responsables.
Par le LCL Rémy Porte, Docteur HDR en Histoire

Certains contemporains, et après eux de nombreux historiens, ont considéré qu’il y avait là une tâche indélébile sur la carrière de Joffre et que le commandant en chef y avait définitivement fait la preuve de son incompétence. L’explication, abondamment reprise depuis les années 1920, est sans doute un peu courte. Essayons non pas de justifier, mais de comprendre.

La situation sur les fronts
Avec la fin de la « sanglante mêlée des Flandres », l’ensemble de la ligne de front à l’ouest est désormais figée de la Suisse à la mer du Nord. Cette situation, qui constitue une surprise pour les états-majors, favorise en fait l’armée allemande. Celle-ci, en effet, occupe dans les départements du Nord du Nord-Est, des positions favorables, généralement choisies à la fin de sa retraite, qu’il suffit en quelque sorte d’aménager pour les tenir à moindre coût dans la durée. Pour les Français, au contraire, installés dans les pentes et les plaines, l’heure reste à la reconquête des territoires perdus. Rapidement, les Allemands procèdent à d’importants travaux d’organisation du terrain et aménagent un puissant réseau défensif, progressivement développé sur plusieurs lignes, complété d’abris, de nids de mitrailleuses et de positions d’artillerie aux tirs repérés. C’est la naissance du « système tranchées », dont la croissance dans la profondeur et l’amélioration technique ne vont pas cesser.

Cette difficulté matérielle, dont l’ampleur est inattendue pour l’état-major français, se complique d’une forte contrainte interalliée. En effet, pour répondre aux pressantes demandes d’aide de leur allié austro-hongrois et devant l’insistance du général von Hindenburg, nouveau commandant en chef allemand au nord du front oriental, Falkenhayn doit totalement réviser les priorités de l’armée impériale. Étant dans l’incapacité de vaincre dans une lutte sur deux fronts et ayant échoué à écraser dans un premier temps l’armée française, il fait le choix, bien qu’il privilégie à titre personnel le front de France, de porter l’effort contre l’Empire des tsars afin d’y obtenir un succès décisif : « Le premier but à atteindre est de conclure la paix avec la Russie ». Un nombre croissant de divisions allemandes présentes sur le front Ouest et une partie importante des unités de nouvelle formation sont ainsi engagées contre la Russie entre décembre 1914 et août 1915, pour atteindre 67 divisions au total. […]

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