Les salons philosophiques des femmes d’influence au siècle des Lumières

« Avec des femmes d’exception, le XVIIe siècle est un siècle masculin. Avec des hommes remarquables, le XVIIIe siècle est un siècle féminin. » Comme l’explique Jean d’Ormesson, les femmes tiennent en effet à la veille de la Révolution le timon d’une partie de la pensée et des idées. La grâce et la préciosité des salons du siècle précédent ont peu à peu laissé place au laboratoire des idées nouvelles que ces cercles promeuvent et diffusent. Une caractéristique commune est l’art de la conversation, esprit proprement français, reconnu par tous et partout en Europe.
Par Jean-Christophe Perrin

Sous le règne de Louis XIV, la Cour donne le ton à la Ville (Paris). À compter de la Régence et du retour du jeune roi à Paris, les choses s’inversent progressivement, ce qui fait dire à d’Alembert que « Versailles n’est plus qu’un village à quelques lieues de Paris ». L’installation de Louis XV à Versailles en 1722 n’y changera rien. Les hommes se rendent chez les salonnières parce qu’elles possèdent un art des relations et de la conversation qui sont l’un des sels de la vie mondaine et intellectuelle. C’est ce qui frappe un éminent philosophe et historien écossais, un temps très proche de Rousseau, David Hume : « Les femmes étaient les souveraines du monde, de la conversation et de l’érudition. » Dans le même sens, Chantal Thomas, spécialiste du XVIIIe siècle, écrit : « Il y a quelque chose de fantastique, de surréel dans la représentation, soir après soir, et à heures fixes, en plusieurs hôtels parisiens, d’un spectacle centré sur l’art de la conversation. »

Les salons sont-ils l’apanage des femmes ?
Pas exclusivement puisque vers 1720 est créé le Club de l’Entresol qui se réunit place Vendôme. Ce cercle masculin, constitué de diplomates, de juristes et d’hommes de lettres, accueille exceptionnellement des dames de qualité. Un inoffensif cénacle que Fleury fait pourtant fermer en 1731, car il redoute la confrontation des idées. D’autres, plus tard, se constituent, à l’assemblée mixte.

Le plus important d’entre eux est celui tenu par le baron d’Holbach, qualifié de « maître d’hôtel de la philosophie », aux écrits explicitement athées. Il est l’auteur de trois cent soixante-seize articles dans L’Encyclopédie. Les autres salons intellectuels sont principalement tenus par des femmes. Spécifique- ment français et parisiens, ils sont l’un des acteurs majeurs de cette opinion publique – encore qu’il s’agisse d’un espace privé, comparé aux clubs, cafés ou académies – qui fait irruption sur la scène intellectuelle et politique au siècle des Lumières.

Un espace égalitaire Selon Jean-Christian Petitfils « se formait dans les salons un espace autonome à l’éthique égalitaire, où le débat des idées, le libre exercice de la critique échappaient au pouvoir ». Égalitaire, en ce sens que roturiers et nobles s’y côtoient, de même qu’hommes et femmes, et qu’ils favorisent brassage social et sociabilité mondaine. Il s’agit en effet de lieux de rencontre où les gens de lettres y font lecture de leurs œuvres, au fur et à mesure de leur gestation. Ils constituent l’un des rares endroits où se retrouvent artistes, écrivains, philosophes, diplomates, financiers, venus souvent des quatre coins de l’Europe. Les salonnières en sont les animatrices, leurs cercles étant le siège même de leur influence. Ces femmes sont presque toutes aisées, ainsi Mme Geoffrin qui recevait jusqu’à cent convives deux fois par semaine, ou Suzanne Curchod, protestante suisse et épouse du fortuné banquier Necker. Elles sont aussi pour la plupart issues de la noblesse, veuves, célibataires voire séparées de biens (telle Louise d’Épinay qui se protège d’un mari prodigue). Mme Geoffrin, bourgeoise fortunée, ne sera quant à elle jamais reçue à Versailles, et Julie de Lespinasse, pauvre et bâtarde, l’une des rares à ne pouvoir offrir à son cénacle à dîner ou à souper.(…)

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