Marie-Anne Lenormand, la sibylle de l’Empire

Un bien étrange personnage que cette Marie-Anne Lenormand, qui connut une ascension fulgurante mais aussi la prison et des déboires de toutes sortes. Elle fit des prévisions étonnantes aux acteurs de la Révolution mais aussi à l’impératrice Joséphine qui l’adorait, à Napoléon qui s’en défiait et au tsar Alexandre qui s’en étonnait. Durant cinquante ans, tout Paris accourut chez elle rue de Tournon pour entendre ses prédictions.
Inès de Kertanguy, Historienne.

La Révolution et la prison
Après une enfance mouvementée et une installation en Angleterre (voir encadré), c’est dans un Paris bouleversé par les manifestations et les émeutes que Marie-Anne, à la sensibilité royaliste, s’installe comme cartomancienne. L’immeuble du 5 rue de Tournon a été la demeure de Concino Concini, maréchal d’Ancre et de Léonora Galigaï, condamnée pour sorcellerie ! Le 2 janvier 1792, Marie-Anne reçoit un homme sec, maigre, qui se drape frileusement dans une cape noire et qui, dira-t-elle, ressemblait fort à un ecclésiastique. Elle est comme envoutée par le regard gris, qui ne la quitte pas. Elle prédit à ce client anonyme une longue vie et une fin hors de son pays natal, dans un port ensoleillé. En attendant, elle voit du sang, de l’or et de l’ombre. Celui qui s’est assis devant elle s’appelle Joseph Fouché. L’homme au passé sulfureux deviendra ministre de la Police, sera fait duc d’Otrante et mourra à Trieste… un port ensoleillé d’Italie.

Les clients se succèdent: Mlle Clairon, la tragédienne Mlle de Raucourt, Talma puis, dans la nuit du 9 août 1792, la princesse de Lamballe en proie à un cauchemar violent. Peu après les massacres de septembre, Camille Desmoulins lui est envoyé par Fréron, puis Danton et Fabre d’Églantine. Une nuit, elle reçoit Marat, Robespierre et Saint-Just auxquels elle prédit qu’ils mourront «tous les trois dans l’année de mort violente ». Et se tournant vers Marat : « Pour vous monsieur, vous précéderez vos deux collègues, mais le peuple vous décernera les honneurs divins […] tandis que ces messieurs seront à leurs instants suprêmes insultés et maudits par la populace. » Lorsque le 13 juillet 1793 Marat est assassiné, le peuple lui rend les honneurs prédits par Marie-Anne. Saint-Just et Robespierre, qui se souviennent de la prédiction, cherchent à revoir la cartomancienne et Maximilien devient un client régulier. Dans ses Souvenirs prophétiques d’une Sibylle, elle raconte: « C’était un homme sans caractère, superstitieux à l’excès, il se croyait envoyé pour coopérer à une entière régénération. Je l’ai vu, en me consultant, fermer les yeux en touchant une carte, frissonner même à la vue d’un neuf de pique. »

En pleine Terreur, elle reçoit un officier de vingt-quatre ans à l’accent épouvantable. Elle lui prédit les honneurs au-delà du commun des mortels et lui affirme qu’une veuve fera son bonheur. Le petit Corse ne croit pas une seconde à ce que Marie-Anne prédit et demande si elle ne connaîtrait pas plutôt un astrologue. Elle lui donne l’adresse de son ami Bonaventure Guyon qui lui répète les mêmes prédictions. À la suite d’un imbroglio, elle se fait arrêter le 19 juin 1794, emmenée sans ménagement à la prison de la petit Force. Elle y retrouve Mme de Montensier, reine incontestée du théâtre qui dirigeait la troupe de Marie-Antoinette, et la belle Mme Tallien, passionnée par les arts divinatoires. Les trois femmes deviennent inséparables. Marie-Anne sauve la Montensier en la faisant passer pour morte.

Un matin, deux hommes transférés des Carmes entrent dans la prison. Le plus jeune est porteur d’un billet pour une voyante qui se trouverait enfermée là. Marie-Anne se présente. Le billet vient du Luxembourg, d’une dame de Beauharnais qui s’inquiète du sort de son époux dont elle est sans nouvelles. Elle joint sa date, son lieu de naissance ainsi que son identité. C’est Joséphine. Marie-Anne se concentre sur l’écriture et la prédiction tombe : « Celui dont on me parle va mourir, mais sa femme connaîtra la plus haute gloire. » Troublée, elle ajoute « qu’elle voit une couronne de reine et plus encore ». À cet instant, la sibylle ne sait pas encore que, grâce à ce billet, elle est entrée en relation avec celle qui lui apportera la célébrité. Quand la réponse parvient à Joséphine, elle est elle-même emprisonnée. Elle n’oubliera jamais la prédiction. Elle dira plus tard : «J’étais persuadée de mon oracle.» Robespierre éliminé, les prisonniers sont libérés.

La voyante attitrée de Joséphine
« Si ce n’est qu’impossible, cela se peut.» Telle est la devise de Mlle Lenormand. Et le cabinet de la rue de Tournon ne désemplit pas. Les clients doivent prendre rendez-vous trois semaines à l’avance. […]

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