Napoléon a-t-il été trahi à Fontainebleau ?

Le 4 avril 1814 fut l’une des plus dramatiques journées des « vingt jours de Fontainebleau » qui s’achevèrent, le 20, par le départ de Napoléon pour l’île d’Elbe. Commencée dans les préparatifs d’une contre-offensive sur Paris, elle s’acheva par l’abdication conditionnelle de l’Empereur et l’envoi auprès du tsar d’une délégation devant en négocier les contreparties. Napoléon s’y serait résolu à l’issue d’une houleuse discussion avec ses maréchaux. Ceux-ci firent pression sur lui pour éviter la prolongation d’un conflit qui faisait courir à la France un risque de guerre civile.
Par Thierry Lentz,  Directeur de la Fondation Napoléon.

La version « classique»
Pour de nombreux napoléoniens, l’abdication conditionnelle fut le résultat de ce que l’un d’eux, Marcel Dupont, appela une «abominable conjuration» dont Ney aurait été le principal acteur. Les maréchaux auraient extorqué la signature de l’Empereur par la contrainte avant de contribuer à l’abattre dans les jours suivants (trahison de Marmont, fuite de Berthier, etc.).

Vers midi, le rituel de la revue quotidienne terminé, l’Empereur avait une dernière fois salué les soldats du haut de l’escalier en fer à cheval qui menait à ses appartements. Comme à chaque fois, il avait été acclamé et des cris de « À Paris ! À Paris ! » s’étaient fait entendre. Posté à quelques pas de lui, Ney se serait alors exclamé haut et fort : « Il n’y a que l’abdication qui puisse nous tirer de là ! » Napoléon fit comme s’il n’avait rien entendu et poursuivit son chemin, suivi de Maret, Bertrand, Caulaincourt et Berthier. Dans une cohue presque incontrôlée, Ney, Lefebvre, Moncey, Oudinot, Macdonald et plusieurs généraux de leurs états-majors leur emboîtèrent le pas jusqu’au cabinet de travail où ils auraient imposé leur présence. On a parfois écrit qu’ils « forcèrent » même la porte. Plutôt que de les congédier, l’Empereur aurait fait comme s’il voulait crever l’abcès et entrepris de les haranguer, leur donnant ainsi l’occasion d’un esclandre inédit, sinon totalement inattendu.

Toujours selon l’historiographie traditionnelle, les échanges qui suivirent auraient été marqués de cris, de gestes brusques, voire de menaces. En réponse au discours optimiste de l’empereur qui promettait un retournement radical de la situation militaro-politique, Ney aurait en effet pris la parole sur un ton vif, questionnant ironiquement Napoléon sur les « nouvelles de Paris », c’est-à-dire la déchéance votée la veille par le Sénat. Et comme l’Empereur persistait à ne voir de salut que dans une bataille décisive, le maréchal, soutenu par ses collègues Macdonald, Oudinot et Lefebvre, se serait emballé et aurait fini par lâcher ce qu’il avait sur le coeur. Après quelques échanges stériles, à bout de patience, il aurait même lancé: «L’armée ne marchera pas sur Paris. » Et comme Napoléon affirmait d’une voie forte : «L’armée m’obéira! », Ney serait passé à ce qu’il faut bien appeler une mutinerie : «L’armée obéira à ses chefs.»

Parfois, certains auteurs nous disent encore que, s’étant rendu compte qu’il était allé trop loin, Ney aurait ajouté, dans une transparente – et peu élégante – allusion à l’assassinat du tsar Paul Ier en 1801 : «Ne craignez rien, nous ne venons pas ici vous faire une scène de Pétersbourg.» Vaincu par tant d’ingratitude, Napoléon aurait fini par demander: «Que voulez-vous donc? » Oudinot et Ney auraient répondu d’une seule voix : «L’abdication. » Et pour ne pas être en reste, Lefebvre aurait ajouté : «Voilà ce que vous avez gagné à ne pas suivre les conseils de vos amis quand ils vous engageaient à faire la paix.» Conséquence de cette première «trahison», Napoléon aurait alors saisi une feuille de papier et rédigé une déclaration par laquelle il consentait à abdiquer une fois réglé le sort du roi de Rome et de Marie-Louise, conditionnant ainsi son départ à la proclamation d’une régence.

Une scène créée de toutes pièces
Cette «grande scène» des maréchaux est entrée dans l’histoire obligée de « l’agonie de Fontainebleau». Il y a pourtant peu de doutes qu’elle ne se soit pas déroulée de cette façon, et en tout cas pas sur ce ton. […]

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